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24 février 2012 5 24 /02 /février /2012 16:25


Baxter Dury - Leak At The Disco
 

 

   
Il n'y a pas sensation plus émouvante qu'une joie mélancolique. Le sentiment n'a rien de confortable au premier abord, ne sachant pas de quelle façon manifester le ressenti eprouvé. Mais la vie n'est-elle pas faite de choix ? Et n'est-ce pas des plus agréables que de pouvoir vivre un morceau en fonction de l'état dans lequel nous sommes ?

 

Le fils de Ian Duris est un conteur des temps modernes, narrant ses visions intrinsèques sur un ton monotone, laissant à ses accompagnatrices le soin d'embellir et d'emballer sa musique telles des sirènes naviguant entre les pintes d'un vieux pub de Shoreditch.

 

Dans ces ballades oniriques, le jour et la nuit se confondent, l'espace temps se dissipe. En particulier sur "Leak At The Disco", chaque élément joue un rôle essentiel dans la construction d'une musicalité progressive, entre envolées lyriques et ruptures de rythme ponctuelles. Le tour de force étant que dissociés les uns des autres, ces éléments possèdent tous une profondeur inouïe. Mais s'ils paraissent légers et épurés de façon isolée, cette jonction des uns aux autres crée une sorte de feu d'artifice dont les chutes viendraient se poser sur un lit de nuages cotonneux.

 

Pour notre plus grand plaisir, Baxter Dury n'est pas homme à livrer des "one song album". Homogène et concis, les 9 autres morceaux présents sur "Happy Soup" sont d'une qualité similaire, prolongeant ainsi la ballade sans sursauts ni volonté de prendre des raccourcis. Une chose rare en ces temps où EP et single - parfois synonyme de féneantise et manque d'inspiration - sont devenus rois...


Kleerup - Until We Bleed (With Lykke Li)

  
Fin de l'épisode. Traveling arrière laissant un Simon pensif sur le toit d'un batîment du quartier de Thamesmead, lieu surréaliste du sud londonnien. Spasmes, tremblottements puis disparation nous laissant seuls face "cette forêt de ciment" surplombant, telle une île, les eaux froides de la Manche. 

Dans cette mise en scène simpliste, ce n'est point l'oeil qui est interpellé mais l'oreille dès lors que démarrent les premières notes du morceau introduisant le générique, percussions lentes et suspendues. Puis délicatement vient se poser cette voix dont les frémissements sensuels et la timidité narrative chamboulent, perturbent. On rougirait presque en écoutant Lykke Li se livrer, nous laissant pénétrer progressivement son intimité.

Mais ce voyage dans les méandres de la passion, dans le tiraillement sentimental, n'aurait pu se faire sans une structure musicale adéquate. Flottante, aérienne, planante, c'est une étreinte intense entre le moderne et l'ancien, entre un clavier Korg et un orchestre philharmonique, entre deux mondes que tout oppose et qui coïncident finalement à la perfection.

Réunis autour de cet unique morceau, on souhaite à ce duo éphèmère une carrière courte. Car lorsque l'on approche si près de l'excellence dès le premier essai, lorsque l'on tutoie ainsi les sommets du genre, les chances d'être à la hauteur de la réputation forgée sont trop infimes pour s'y risquer, tenter ne pas dénaturer la qualité du travail effectué...

Gonjasufi - Ancestors


Il y a les bons albums, les très bons albums et les albums de l'année.

L'entête va bien au-delà de l'appréciation, c'est une couronne qui est décernée, un trône qui est délivré. À juste titre, on jugera de la pertinence de l'autorité ayant proclamé un tel sacrément. Car de sa position, de son influence et de ces choix habituels découleront le niveau de crédibilité accordé.

C'est le cas de l'album "A Sufi and A Killer" sorti en 2010 sur Warp par Gonjasufi, rastaman ayant troqué le reggae de ses confrères contre une expérimentation sonore affûtée, et Gaslamp Killer, blanc bec à la chevelure aussi délurée que ses mixs sont éclectiques. À la différence prêt que la réalisation de nos deux amis a fait l'unanimité. C'est donc une multitude de sources, presse spécialisée, webzines et blogs réunis qui ont applaudi en cœur la naissance de cet album prodige. Difficile alors de contester une place qui semble dûment méritée tant la diversité des proclamateurs est vaste.

On se laisse donc aller à faire défiler les 19 pistes de la dite pépite. Et au bout du chemin, le constat est sans équivoque : l'ovni qui a été mis à notre portée n'est pas un passe-partout mais bien un objet de connaisseurs, ce genre de petite merveille que l'on pourrait découvrir dans une brocante et dont très peu de personnes pourraient estimer ou apprécier la valeur.

Mais si notre culture musicale est assez large, si le champ des limites de notre univers sonore n'a quasiment aucunes barrières, c'est l'émerveillement qui s'offre à nous.  

Chaque morceau possède une identité propre, existe par lui-même sans avoir besoin des autres sans pour autant nuire à la cohérence globale de l’œuvre. Que des formats courts comme pour jongler constamment et sans s'attarder entre les très nombreuses influences de l'homme aux longues dreadlocks.

Et une fois n'est pas coutume, pourquoi ne pas pénétrer au sein de cet univers avec une production de Flying Lotus, l'homme par qui le miracle est arrivé. Ambiance lancinante aux accents hindous mettant superbement en exergue cette voix étrangement aiguë, on peut être certain que les ancêtres de Gonjasufi n'auront pas à se retourner dans leurs tombes...

Devin The Dude - Hope I Don't Get Sick A Dis

  
Paraît-il qu'à force de nostalgie, d'enfermements volontaires dans le passé, les œillères nous font rater l'évolution qui prend place petit à petit sous notre nez...

Paraît-il donc que durant ces 10 dernières années, pendant que les miens et moi-même écoutions notre fameux Golden Age et autres vagues indépendantes pour le coup très actuelles, un mouvement énorme à pris le pas sur notre "rap game"...

Paraît-il que cette influence a puisé des deux côtés de la barrière, définissant une frontière entre l'underground et le mainstream et imposant par la même occasion un état aux yeux et à la barbe des côtés Est et Ouest : le Sud...

Paraît-il que lorsque l'on se plonge dedans, on comprend mieux la tendance rap actuelle, les instrus minimalistes, synthétiques et les flows laid-back qui bouleversent énormément notre vision et nos habitudes, loin du travail du sample et de la culture de la technicité dans le phrasé...

Mais en est-il de même pour tous les rappeurs sudistes ? La réponse est non, Devin The Dude en est l'exemple. Et à y regarder de plus près, le Texan originaire de Floride en est même l'antithèse.

Bien qu'accessible, sa musique est vaporeuse, aérienne, enlevée, provoquant chez l'auditeur un effet cannabique mélant détente et sourire.

Bien que laid-back, son flow est précis, confiant, débité avec cette voix nasillarde et ce ton moqueur, représentation parfaite d'un rappeur qui n'a que faire des tendances, qui ne considère pas avoir à prouver quoi que ce soit.

Bien qu'à l'opposé du "conscious rap", ses textes ne prennent aucune posture bling-bling, aucune "gangsta attitude", ne faisant que caresser l'auditeur dans la forme pour mieux se jouer de lui dans le fond par le biais de jeux de mots crus et subtiles.

C'est là toute la magie d'un album comme "Waintin' to Inhale" : sans être un classique, il se positionne comme un indispensable, un disque dont les mélodies entêtantes poussent à y retourner constamment, à se délecter régulièrement de ce sentiment de bien-être irrévérentieux.

Encore - Think Twice (Feat. Peanut Butter Wolf)

  
New-York, 23 heures. La nuit tombe sur la grosse pomme.

A l'angle d'un carrefour de Brooklyn, dans ce désert urbain au sein duquel les chats longent les murs, un escalier s'engouffre sous terre. Venant pertuber ce silence de mort, c'est un son étouffé qui en sort.

Sans se poser de question aucune, nos pieds dévalent les marches, happés par une curiosité si forte qu'elle confine à une forme de folie éphémère. A peine arrivé en bas que les portes en cuir affublées de hublots s'ouvrent à nous. Les lumières se tamisent, le cuir sur les murs se détend et le volume sonore s'intensifie.

Notre regard se balade, apercevant sur les murs les portraits de Duke Ellington, Quincy jones, Keith Jarett ou encore Chet Baker. Autant d'imminents acteurs d'un mouvement musical capital. Autant de live distillés dans cette antre réservée aux esthètes.

On se décide alors à jeter un oeil sur cette scène, empressé de découvrir quel jeune talent perpétue la tradition de ces illustres ancêtres. Mais point de saxophone ni de trompette, point de piano ni de guitare. Dans la lumière du projecteur central, c'est un homme au style vestimentaire résolument moderne qui tient le micro et un autre, en deuxième plan, visière baissée sur ces deux platines.

La surprise n'a pas le temps de faire effet tellement l'engouement prend le pas sur le reste. On sirotera un "Jack Daniel's On The Rocks" pour se laisser porter par l'association des vapeurs alcoolisées et du son feutré. On en ressortira comblé, léger.

Plus tard, le platiniste montera son label, Stones Throw, produisant des noms tels que Madlib, MF Doom, Mayer Hawthorne ou encore Dudley Perkins. Plus tard, le chanteur sortira un disque, "Self Preservation", méconnu du grand public mais ancré dans le coeur des puristes.

Plus tard, nous réécouterons encore ce morceau, impérissable, inaltérable, indémodable.

Eminem - Role Model


2002. Un rappeur comme beaucoup d'autres avant lui se lance sur grand écran. Entreprise de progression artistique immuable serait-on tenté de penser avec rôle de gangster, de représentant "authentique" du ghetto ou de seconde main à la clé - permettant d'ajouter un nom, à la renommée certaine, de plus au générique.

Surprise donc lorsque l'on comprend que le sujet est quasi-biographique, retraçant les débuts dans le rap game d'une icône en devenir, auteur d'un album récent au succès retentissant... et à la qualité indéniable. Mais malgré tout, on temporise son engouement, gardant en tête que cela peut relever comme souvent de l'opération marketing dans laquelle dramatisation de la vie d'un natif de Detroit et difficulté de s'imposer en tant que blanc dans ce milieu sont des atous majeurs pour l'élargissement d'un public d'ores et déjà conséquent.

Doit-on passer à côté pour autant ? Décider volontairement de boycotter une oeuvre singulière par crainte d'une trop grande déception ? Objectivement non, l'histoire est trop belle et on a pris le temps de matelasser en amont le sol  en cas de chute...

C'est à ce moment que tout se précipite ; à peine entré dans la salle obscure, manteau encore sur le dos, que résonnent lourdement les premières notes de "Shock Ones Part II"... La suite d'8 Miles ne sera qu'un enchaînement logique, une montée en puissance crachant ses trippes sur une bande originale proche de la perfection. Et posera ainsi de nouvelles bases quant aux influences et à l'authenticité du nouveau phénomène mondial.

Retour en arrière : aux prémices de l'élaboration d'un statut désormais chargé d'histoire, entre haut de podium et descentes aux enfers, le petit blanc peroxydé livre en 1999 "The Slim Shady LP". Les grands lignes se dessinent dès lors : flow impeccable et imparable, intonation unique, Dre - bonne période - à la prod, lyrics provocateurs, voir outrageants, tous les ingrédients sont réunis pour que Marshall Bruce Matters s'immisce dans la catégorie ténue des très grands rappeurs.

"Role Model" se pose ici comme une parfaite illustration du personnage : égotrip extrême, incitations "malveillantes", humour noirâtre... Et cette musicalité, cette aisance dans la diction qui, rebondissant magnifiquement sur une boucle de guitare des plus efficaces, semble inépuisable. Un style à part entière, simplement inimitable.

Fin 2011, une vidéo a fait sensation aux BET Awards : surpassant de très loin la concurrence, le crew Shady Records a mis tout le monde d'accord. Rick Ross, Ludacris et autre Busta Rhymes : thanks guys for coming, see ya next time...

Une chose est sûre : Eminem n'en a pas fini avec le rap game...

Raw Produce - Decomposure

 

  
Quelques nappes délicates. Puis, discrètement, se greffe un saxophone à la piroutette entêtante auquel vient s'ajouter un deuxième saxophone étayant l'impact du premier en proposant un contre-rythme plus lent. Enfin, main dans la main, se pose la combinaison parfaite d'un clavier sonnant tel un orgue en sourdine et d'une batterie, finissant de poser le décor pour laisser Cadence et Pitch s'exprimer.

Le souffle est bref, les enchevêtrements concis, le départ idéal. Indubitablement, nos muscles se détendent, nos oreilles s'ouvrent : nous ne sommes qu'au commencement de "The Feeling of Now", aux balbutiements de ce qui va s'avérer être un exemple de précision.

De la précision, il y en a dans la musicalité jazzy de cet album, dans les choix et dans la superposition de ces boucles semblées taillées pour être retravaillées. Il y en a également dans les flows des deux natifs du Massachusets, énergiques sans être énervés. Il y en a enfin dans les textes, conscients, réalistes, sociétaux, perpétuant les réflexions de mains de maître et gants de velours initiées par A Tribe Called Quest et autres Common.

On touche peut être ici au défaut principal du LP sorti en 2004 : trop précis. En livrant une galette exempte de réels reproches, on se risque également à pêcher par manque de surprises, d'inventitivité, de folie. Un constat qui ne nuit en rien à la qualité globale mais matérialise une forme de redondance qui inciterait à scinder les écoutes pour ne pas tomber dans la lassitude.

Mais soyons objectifs, cette volonté de perfectionisme ne peut être décriée. Car inlassablement, on y reviendra avec l'envie de revister nombre de morceaux dont on n'aurait pas perçu toutes les subtilités. Contentons-nous alors d'apprécier, même si c'est avec parcimonie, ce qui se pose comme l'un des grands albums rap des années 2000.

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